Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

31/01/2007

LU 10 - Clarté sans repos d'Antonio Gamoneda

Prix Cervantès 2006, prix littéraire le plus important d’Espagne, Antonio Gamoneda est le poète de la mémoire, toujours attentif à creuser l’opacité de la langue, à y chercher un rythme qui puisse engendrer le temps où le poème va pouvoir se déployer. C’est le poète de cette « musica callada », de cette musique tue où se joue la vérité du toreo selon José Bergamin. Un chant sous les mots. Quelque chose qui ne s’entend pas et qui pourtant nous parvient comme un silence. Quelque chose comme le ton du corps quand il arrive dans le langage, lueur humide qui s’y assèche non sans ouvrir quelques puits infimes de lumière dans la masse des mots. Et ce qui remonte du corps ce sont « las perdidas », les choses perdues, disparues et qui prennent feu au contact des mots, de l’air qui balaie l’espace du poème.Ce sont ces flammes que l’on lit dans cette Clarté sans repos, aboutissement d’une « expérience à la fois poétique et existentielle, selon Jacques Ancet. Pour un homme qui « a vu » - et l’expression est récurrente ici, foyer d’où s’élèvent les flammes, d’où crépitent les escarbilles – les années de plomb qui suivirent la victoire des forces franquistes, entendu les « vive la mort ; vécu les années inquiètes et désespérées de l’engagement contre la répression de Franco la muerte et voit aujourd’hui le vieillir lever lentement depuis le fond du corps, la mémoire est mortelle tant on risque toujours de « (s’exténuer) inutilement / dans les souvenirs et les ombres. »Si le récit est le lieu par excellence de la mémoire, si raconter, c’est toujours vouloir d’une certaine manière conserver, maintenir intact, si on y bâtit des palais chimériques, en revanche les poèmes d’Antonio Gamoneda dont des narrations qui s’ouvrent sur les ruines d’un impossible récit. Ruines d’une existence rompue dont il ne reste que des bribes, des braises sous les cendres. Et qui perdurent. Les poèmes sont des fictions de l’oubli. Ils se déploient autour d’un trou, d’un centre qui manque. D’un oubli. C’est en lui qu’entre Antonio Gamoneda, lui qu’il s’efforce de dire en ces blocs rythmiques dont il n’importe plus de savoir si ce sont des vers, des versets ou des proses. Des présences que la nuit qui tombe fait rougeoyer, et c’est l’absence de ce qui est absent qui lève et se montre. Cette clarté sans repos est celle qui préside aux errances dans le labyrinthe, aux longs des lignes brisées de son tracé, de ses pièces et galeries. Là dérive la mémoire, détachée de tout ancrage, de toute mémoire ordonnée, là « brûlent les pertes » - Mots qui littéralement traduisent le titre espagnol initial Arden las perdidas -  et le sujet qui s’y aventure se perd dans les fils de la mémoire devenue épervier d’oubli. Non d’un oubli pur et simple mais d’un oubli en acte, pensée qui se sait désarticulée, qui comprend qu’elle erre dans un labyrinthe, impuissante à rétablir les liens entre les pièces qui s’ouvrent, à raccorder les corridors entre eux. Dans les pages de cette clarté sans repos, Antonio Gamoneda a su faire parler l’oubli sans avoir prise sur le secret. Perdu désormais.
 
( ntonio Gamoneda, Clarté sans repos, (traduit de l’espagnol par Jacques Ancet), Arfuyen, 18 euros )

Lu 9 - Les silences du passeur de Jean-Max Tixier

Après la métaphore du chasseur – Voir son précédent livre paru aux éditions du Cherche-Midi, Chasseur de mémoire en 2001 – que travaillaient déjà l’âge, le silence et le vide, celle du passeur s’est imposée à Jean-Max Tixier pour rendre compte de la position du poète pris entre écrire et vivre, aujourd’hui que « l’ombre attend sur le quai ».Aujourd’hui, l’autre rive se dessine. Approche dans les clapots. Les vents sont tombés, la clarté en est resté comme voilée. Tout a vieilli n jusqu’aux silences. C’est pourtant sur eux que va s’appuyer le passeur pour poursuivre tant sa passion est de passer, debout sur sa barque, les yeux jetés à l’avant comme pour le tirer jusqu’à lui.Que reste-t-il au final quand « la musique n’est plus / ce qui s’ajuste au cœur », quand «  à l’abrupt du vertige. Plus rien ne (nous) retient des images antérieures. Les sites traversés ont glissé dans l’oubli. Le visage des femmes aimées. Et leur sourire de brume. » ? Rien d’autre qu’à entrer dans l’oubli et risquer à partir de lui, du labyrinthe qu’il dessine quelques mots, choisis, posés et ajustés par cet artisan du verbe qu’est Jean-Max Tixier qui connaît leurs potentialités comme leur fonction poétique. Pris dans leur matérialité sonore et visuelle que ce soit dans des poèmes en prose ou en vers libres longs comme courts – on rencontre ces trois formes dans ce livre – ils s’ouvrent sur des strates – vers le bas – et des étages – vers le haut – de sens.Dire l’oubli, c’est faire venir sur le devant de la scène du poème, où les mots disent les absences, entre les mots l’absence elle-même. C’est dans cet acte que « le vide affronte le silence », en lui que « le courant emporte les images / à quoi s’accorde le regard », là vit le désir « qui survit au désir ».
C’est à partir de lui que jean-Max Tixier peut affirmer « parler pour n’être pas vaincu ». Car c’est ici que tout se passe. Ici qu’est l’autre rive. Ici et dans l’amour de la « femme de fin dernière », entrer dans la sérénité du froid mais « dans le soleil » et « épouser l’immobilité ». Et cela n’est pas se résigner mais « changer d’avenir ».
« Mes mots donnent la chair / à ce qui n’en a pas » écrit Jean-Max Tixier. À quoi je rajouterais volontiers qu’ils ouvrent des yeux dans la langue que tant de choses aujourd’hui ferme, replie sur elle-même, emprisonne dans une absence de sens coupable. Jusque dans ses « silences », le « passeur » nous assure encore que le feu de poésie peut prendre dans la langue et l’on sait, aujourd’hui comme hier, combien sa lumière et sa chaleur nous sont nécessaires.
 
 ( Jean-Max Tixier, Les silences du passeur, Le Taillis Pré, 17 euros )

29/01/2007

Entretien 3 - Yves Bonnefoy et Alain Freixe

 medium_bonnefoy.jpgCet entretien est paru dans le revue Friches, hiver 1995/1996, N°52. Jean-Pierre Thuillat est toujours aux commandes de cette revue qui file toujours verte vers son numéro cent ! (Friches, Le gravier de Glandon, 87500 Saint-Yrieix. Site : www.friches.org)
Je remercie Yves Bonnefoy d’avoir accepté que je reprenne cet entretien  de 1995 ici tel quel.

 
Alain FREIXE. — Cher Yves Bonnefoy, vous avez beaucoup enseigné, dans diverses facultés en France comme à l'étranger, enfin au Collège de France où vous occupiez la Chaire d'Etudes - Comparées de la Fonction Poétique. Vous avez. ren- contré de nombreux auteurs, de nombreuses œuvres d'hier comme d'aujourd'hui; vous les avez accompagnés et critiqués.
Cette activité critique fût-elle menée en sympathie sous la lampe allumée de Psyché, n'est-elle pas malgré tout contraire à l'activité poétique elle-même, laquelle n'est peut-être même pas tout à fait la même dans vos « Récits en rêve » et dans vos livres de poésie proprement dits ?

Yves BONNEFOY. — J'ai enseigné, — oui et non. Il est vrai que je me suis retrouvé souvent devant des étudiants, une situation que longtemps je n'avais ni imaginée ni recherchée, mais ce fut toujours comme un invité, qui a le privilège de pouvoir parler, pendant son bref passage, de ce qu'il a en esprit, et à sa façon, et sans respecter de normes. Et un jour ce fut le Collège de France, et cette fois de façon durable, mais le Collège est un lieu dont la seule règle est que l'on doit y enseigner ce que l'on est en train d'explorer soi-même, sans obligations pédagogiques, et avec droit aux tâtonnements, aux repentirs, aux changements brusques de direction. Voilà qui m'a donc permis de ne pas m'écarter de mes soucis propres, ce qu'un professeur ne peut guère faire. Et je dirai plus. Dans une situation de cette sorte, la parole des autres, quand elle vous est adressée — ce qui n'est jamais assez fréquent —, c'est la meilleure occasion que l'on ait jamais d'aller au-devant de soi-même : là où l'on se réveille de ce que l'on croyait savoir.
Quant à la critique, je ne crois pas (...)

Lire la suite

14:40 Publié dans Entretiens | Lien permanent | Commentaires (0)

07/01/2007

Turbulence 9-

Voeux 2007 

Ami(e)s qu passez olù la poésie fait carrefour, embarras toujours, mais de passage! Quand les chemins sont libres à inventer, puissiez-vous trouver dans ces mots de Paul Celan dans Renverse du souffle, énergie et force de vie pour aider l'homme à rester cette chance qu'il est:

"Tenir debout, dans l’ombre
du stigmate des blessures en l’air.

Tenir-debout-pour-personne-et-pour-rien.
Non reconnu,
pour toi
seul.

Avec tout ce qui a ici de l’espace,
et même sans
parole."



Guy Freixe : Le Masque dans la pratique théâtrale occidentale : entre Protée et Psyché

medium_guyfreixe3.jpg( Je ne vais pas y aller par quatre chemins pour dire que c'est avec un très grand plaisir que j'accueille mon frère dans ce lieu de partage. Après avoir été comédien au Théâtre du soleil- cycle Shakespeare et L'histoire inachevée de Norodom Sihanouk) , il fondera la compagnie qu'il dirige toujours aujourd'hui Le théâtre du frêne - Pour en savoir plus sur son parcours et le passé et les projets de sa compagnie voir notre lien - Il enseigne aujourd'hui dans la section Théâtre de l'université d'Amiens.)
 
 
 
 
Le masque peut jouer de sa capacité de métamorphose, qui le projette de forme en forme à la manière du dieu grec Protée  , mais aussi d’une force inverse, menant vers l’intériorité, et qui le rapproche de Psyché, dont le nom, en grec, signifie l’âme  . L’Occident, marqué par les fondements de sa culture chrétienne, dans laquelle le masque n’est qu’un leurre, a privilégié au théâtre cette voie de Protée : le masque ne cherche pas alors à donner accès à une connaissance, il est tout entier dans le choc visuel et dans la projection d’image. Il doit surprendre, dérouter, étonner. Ce masque-là ne vient pas agir sur le porteur. L’acteur le revêt simplement pour impressionner les spectateurs. L’effet seul est recherché. Ce type de masque est souvent utilisé pour représenter ce qui est hors de la sphère humaine : les esprits démoniaques ou les animaux, comme Bob Wilson l’a fait dernièrement dans sa mise en scène des Fables de La Fontaine. Il peut aussi proposer des images merveilleuses, poétiques, qui s’inscrivent dans notre tradition du baroque, comme par exemple un visage dédoublé, ou surdimensionné, ou démultiplié à la manière de ces jeux de société dont nous parle Saint-Simon dans ses Mémoires  . Protée invente sans cesse de nouvelles formes !

Lire la suite

Balise 13

« Il n’est pas à la beauté d’autre origine que la blessure, singulière, différente pour chacun, cachée ou visible, que tout homme garde en soi, qu’il préserve et où il se retire quand il veut quitter le monde pour une solitude temporaire mais profonde (…) l’art de Giacometti me semble vouloir découvrir cette blessure secrète de tout être et même de toute chose, afin qu’elle les illumine. »

Jean Genet

18:15 Publié dans Balises | Lien permanent | Commentaires (0)