21/12/2006
Comme dans les bras d'un grand ange blanc
En mai 1997, la revue Encres Vives toujours dirigée par Michel Cosem a consacré un important dossier à joë Bousquet. Je reprends ci-dessous tel quel le texte que j’avais donné à Jean-Louis Clarac qui dirigeait ce numéro 224 intitulé « La poésie est le cœur de feu de la prose ».
"Tout n'aura été que rêve et songerie sauf l'amitié..."
à Ginette, Joë Bousquet
à Ginette, Joë Bousquet
De même que, blessé par un éclat de Scharpnell, le 27 mai 1918, sur le front de l'Aisne, à Vailly, lors d'une violente contre-attaque allemande, Bous¬quet fut arraché au sang, à la boue et à la mort par ses camarades de combat; de même que devenu "plus faible qu'un enfant", sa vie se serait éteinte si lui avait manqué un seul jour les soins constants non seulement de ses médecins mais encore de tous ceux - famille et amis - qui l'entourèrent quotidiennement; de même, son écriture ne s'est jamais soutenue que du regard des autres ainsi qu'il l'avouait à Edmond Jaloux en 1936: "il n'y aurait rien à reti¬rer de mes livres si les plus grands esprits n'y voyaient pas plus de choses que je n'en vois moi-même".
Que l'amitié, dans l'ordre des corps, sauvât et maintînt en vie celui qui était promis à la mort pendant plus de trente ans, ce démenti au bon sens de l'époque n'est compréhensible que parce que, selon Bousquet, dans l'ordre des esprits, elle lui rendit la vie comme un espace infini de création et l'être comme un devenir.
Une blessure l'avait séparé du monde, il restait à Bousquet à faire de cette séparation le lieu de tous les rapports possibles, soit cet "abîme des rapports", dont parle Maurice Blanchot, "où se tient, avec simplicité, l'entente toujours maintenue de l'affirmation amicale". Il lui restait à vouloir cette blessure en y portant tout son amour afin de libérer des plis de l'accident la part immaculée, la "part spirituelle" qui s'y cachait et faire d'un fait qu'apporta la vie, un événement qui apporte la vie. Ce oui qu'il donna à sa blessure s'accompagnait d'un irréductible refus, d'un non radical à l'égard de tout ce qui pouvait entraver sa liberté morale.
Ainsi fut-il celui qui dit non à tout espoir de guérison; non à tout ce qui pouvait le ramener dans le giron d'une so¬ciété qui l'avait détruit; non à cette littérature idéaliste qui "porte dans l'observation des faits une idée préconçue de ce qu'ils devraient être", non à ces faiseurs de récits qui offrent la littérature comme valeur de remplacement -histoire de nous aider à supporter la vie -, non à celui-là même qu'il faillit de¬venir dans ces "années lucifériennes" où à grands coups de mancies poétiques, il cherchait à s'imposer à sa blessure.
Entre ce oui et ce non se creusèrent toujours plus l'absence et la solitude. Ce sont elles qui formeront comme les deux ailes de ce" grand ange blanc" de "la distance", dont il parle à Poisson d'Or, espace de l'amitié dans lequel peuvent avoir lieu les véri¬tables rencontres, celles d'autres totalement libres de lui, d'autres que la force du refus lie, soit des hommes dignes les uns des autres, c'est-à-dire des hommes "ayant échappé à l'indignité du siècle".
L'amitié fut le nom du seul enracinement qui vaille pour celui qui avait perdu le lieu. Là, dans la distance, se retrouvent ceux qui vont compter pour lui;
ceux qui obligeront cette obscurité où il se perdait chaque fois davantage à se faire chair, en remontant au jour, ici ou là, dans telle revue ou chez tel éditeur; ceux qui tiennent de leur volonté ou de leur vie le privilège d'avoir échappé "à la marque que le siècle prétendait leur imposer"; ceux qui s'opposent au monde comme il va, ce train de vache maigre où se fanent les êtres et les choses et qui oeuvrent ensemble, quoiqu'à partir de leurs différences irréductibles, à "désaveugler les hommes" en les obligeant "à sortir du mensonge social" en des écrits où "(ils purifient) la vie du trouble que notre être lui apporte en la sou¬mettant à son idée de la mort". Ceux-là furent si nombreux qu'on n'en fera pas ici la liste - Catalogue d'ombres sans substance! . Que le lecteur sache qu'elle comporterait tout ce que cette première moitié du siècle compta comme personnalités de premier plan, ces "fortes têtes désobeissantes", ces "indésirables" dont parle Char à Breton en 1947.
Quand les temps s'assombrissent et que gagne le froid, il convient de ne pas prendre la main de n'importe qui! Ceux qui refusent, ceux dont la vie a pesé les paroles, ceux-là sont les amis. Parmi eux, Bousquet nous attend.
© Alain Freixe
23:20 Publié dans Du côté de Joë Bousquet | Lien permanent | Commentaires (1)
Commentaires
Ton blog est sympa... ton collegue matheux du lycee, ou arnaud
Écrit par : arnaud.pascal | 26/12/2006
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