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14/09/2025

Lu 119 -Ossip Mandelstam Œuvres poétiques, Œuvres en prose Le coffret, 1500 p, 59 euros

Ossip Mandelstam, poète rebelle, étranglé petit à petit par la censure stalinienne. Poète intransigeant, sans concession vis-à-vis des mensonges du pouvoir, de sa terreur grandissante au fur et à mesure que « le montagnard du Kremlin » et sa « racaille de chefs au son frêle » étouffaient la révolution. Le « siècle chien-loup » finira par avoir raison de celui qui se disait être l’ami de tout ce qui vivait sur terre. Sa vie prendra fin, après avoir été condamné à 5 ans de travaux forcés à Vladivostok, dans un camp de transit où il souffrit tous les froids.

Jean-Claude Schneider, traducteur, a « cheminé dans l’obscur », accompagné d’Anastasia de la Fortelle dont les notes et commentaires sont particulièrement éclairantes, pour donner « une voix française à Mandelstam », un « apocryphe de l’original » qui sait « respecter « le buissonnement des significations » en conservant à la parole l’ombre dont elle s’habille et qui la tient.

Il y a chez Mandelstam constamment réaffirmées une volonté de vivre au plus près des réalités du monde sensible et des forces qui le traversent – ce qui pourrait expliquer son émerveillement à la découverte des terres nouvelles de sa vie errante, notamment cette Arménie que pendant 8 mois en 1930 il parcourra – mais « les discordes enflammées des hommes » dans ce temps où « tout de par le monde est sans dessus dessous » font tomber sur les jours un hiver toujours plus féroce qui s’impose à lui et dont il ne pourra détacher les yeux, le vouant à « épier les pas du siècle, le bruit et la germination du temps » et donc à une solitude toujours plus grande : « seul je regarde le gel en face » notera)-t-il. Dès lors, écrire sera mener une guerre sans merci pour « soulever les paupières douloureuses du siècle ». Cette guerre, c’est « la volonté d’ouvrir les yeux, de voir en face ce qui arrive, ce qui est » écrira ailleurs Georges Bataille ; c’est ne pas se dérober, faire face à son temps, s’efforcer de voir ce que l’on nous invite à ne pas voir, ce qu’on nous interdit de voir ou ce qu’on nous cache. Dans ses poèmes comme dans ses proses, écrire est cette traversée risquée d’une parole capable d’affronter le présent pour que sous les masques de l’actuel on entende les remugles du temps, ses sourdes germinations.

Pour tenir tête à la violence de l’histoire, Mandelstam mobilisera cette autre violence, celle de la mémoire – « La mémoire, c’est la guerre » affirmera Walter Benjamin – il ira chercher dans hier, ses amis – ses vrais contemporains - Villon, Dante, Verlaine… - non pour pleurer les beaux jours anciens ni par vaine nostalgie régressive mais bien pour y creuser et amener au jour quelques graines survivantes – il faut lire l’admirable Entretien sur Dante ! – Chez Mandelstam, le rapport au passé est toujours de tension. Il s’agit de ramener dans l’aujourd’hui certaines questions restées là en dormance, certaines valeurs oubliées ou non encore advenues pleinement.

La poésie – poème comme prose ! C’est même là le mérite de ces 2 tomes de nous permettre de sentir combien c’est le rythme qui fait sous-sol et fait exister cette parole – se montre bien ici, d’une part, en diane, l’éveilleuse. Elle tonne et claironne ses réponses au siècle, appelle au sursaut, au réveil. Et, d’autre part, en Diane, la provocatrice qui enjoint Actéon à dire ce qu’il a vu – Diane se baignant nue avec ses suivantes – « s’il le peut » ! Comment ne pas se souvenir de ce « oui, je le peux » qu’Anna Akhmatova, l’amie de Mandelstam, répondit à la femme aux lèvres bleues devant la prison de Leningrad sous le terrible règne de Iéjov. C’est un tel « oui » que l’on entend chez Mandelstam et que mène jusqu’à nous ces deux volumes : « oui, je gis sous terre » mais « vous n’avez pas mis fin au remuement des lèvres ». Cela sonne comme s’épanouit un sourire par où passe toute l’humanité, cette exigence qui donne à la poésie la ferme conscience de sa légitimité.

Balise 98-

"Le vrai lieu d'un poète est son travail"

Ossip Mandelstam

10:02 Publié dans Balises | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ossip mandelstam