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15/02/2014

Michel Ménaché a lu "Phares, balises et feux brefs suivi de Périples" de Frédéric-Jacques Temple

Frédéric Jacques Temple, poète planétaire, publie un double recueil qui, de ses eaux vives, désaltère le lecteur. Alain Borer présente fraternellement l’auteur en « adolescent nonagénaire », en loup de mer, en bourlingueur (comme son ami Cendrars), en savant lettré, en Apache. « Temple est une nature », il est la réincarnation de l’Achab de Moby Dyck, -son nom de code-. Et s’il « est revenu de l’Enfer » de la bataille de Monte Cassino en 1943, c’est pour « en rapporter la bande-son » dans La route de San Romano.En quête d’un ailleurs perpétuel, « voyageur immobile, explorateur égaré, […] il n’a cessé de résister à la dislocation du monde. »

 Avec Phares, balises & feux brefs (Préfacé par Alain Borer, éd. Bruno Doucey  15 €), le lecteur est d’emblée invité au voyage. Par mers et continents, au plus près de la faune et de la flore que l’auteur étudie depuis l’enfance. Dans Calendrier du sud, Temple égrène les douze mois de l’année sous la forme de courts poèmes riches en métaphores telluriques et animalières. Août :« Le mois de ma naissance / Invincible torpeur / dans la sueur pesante. / L’aigre violon du moustique / perce la nuit molle. / Il faut durer / jusqu’à l’orage. » Octobre : « Triomphe de la rouille / et gloire des renards / le cuivre et l’or / incendient les herbages. »  Paysages lointains, dédié à la mémoire de son premier éditeur algérois, Edmond Charlot, évoque le port d’El Biar, les odeurs de la casbah,  le Chenoua, « royaume des vipères », les oursins de Tipasa « gorgés de pourpre » arrosés d’un « vin sombre », ouvrant « la porte / du bonheur. » La mémoire du poète est « un grenier / à mirages où puiser / et les paysages sont des jouets perdus / ranimés pour notre survie. » Les amitiés traversent le recueil, de René Depestre à Yves Berger, d’Henri Pichette à Alain Borer pour lequel c’est à la course obsédante de Rimbaud, en fuite perpétuelle, qu’il fait écho : « Poésie, la belle imposture, / leurre pour piéger l’éternel. / Oui, je préfère l’aventure / à ce pathos sempiternel. » Le poète prête aussi sa plume à l’entomologiste pour observer le rituel impitoyable de « l’amante religieuse » : « La mante prégadieu / tête sèche ventre mou / joint les faulx de ses mains / en sa prière carnassière / et pend à ses crochets / le mâle / au sommet du jouir. »

Périples s’ouvre sur le Larzac : « Enfant, berger de mes troupeaux de rêves, / j’allais foulant la folle avoine / sur les ardents plateaux déserts / où règne la senteur enivrante des buis / entre les épineux soleils des cardabelles / dans le thrène du vent parmi les herbes rases… » Temple évoque aussi Max Rouquette, l’ami disparu des errances communes en pays d’Oc, avec La fleur adverse, - la ronce -, « dont l’ombre s’étale souveraine / sur la tombe de Rimbaut d’Aurenga / à qui je parle / une langue adverse. » De courts poèmes reconstituent en fragments le village et quelques figures ayant marqué l’enfance du poète : Auguste-Hercule, la petite fille au chat, le garde-chasse... Les murets de pierres sèches demeurent qui sont « gardiens de la mémoire. » Un long poème en prose fait renaître un jardin au bord de l’eau surgi du passé : « Nerveuse, agile, musicale, une rivière accompagne de tout temps le chant de ma mémoire, en basse continue. » Description méticuleuse, leçon de choses à vif, inventaire d’un arpent fondateur du rapport intime au monde. Puis le vagabondage reprend : Venise, Dublin, Namur, Vision du Neguev, Jérusalem, l’Amérique des « nations premières », pour revenir aux premières chevauchées, sur le sable du temps : « Mon cheval à roulettes / noir et blanc pommelé / galope encore / sur la terrasse de l’enfance… » L’amour referme la boucle avec ces vers dédiés à Brigitte : « Sous ton ombre / je me dresse / fier soleil / et j’avance / délivré de ma torpeur / dans l’oubli des cicatrices / enfant nouveau entre tes bras / qui m’enserrent / comme des branches / et me bercent. » Enfin, Temple se révolte contre la mort prochaine : « Je m’insurge, / maudis le fatal rendez-vous, / insulte l’ignoble bête noire, / mais ne perds de la vie / la moindre goutte de son miel. »

Hymne solaire avant la nuit. Temple résiste encore à la dislocation du monde…    

Paru dans la revue Europe, n° 1007 mars 2013