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07/08/2015

Lu 111- André Velter / Ernest Pignon-Ernest, Le Tao du toreo, Actes Sud

andré velter,ernest pignon-ernest,tao,toreo,actes sud Les événements, ces secousses d’être, ont leurs voies. Ils nous créent parce qu’ils nous somment d’entrer en eux par le côté ensoleillé, celui où loin de chercher à les définir, ce qui est toujours les stériliser, les faner, les dissoudre, on les laisse nous définir, devenir le sang de nos vies.

 L’événement se produisit « par fort soleil et mystère avéré » un 16 septembre 2012 dans les arènes de Nîmes. Amoureuse des œuvres du temps, l’éternité s’était invitée sur le ruedo le temps d’un solo de José Tomas face à six toros. Diane était également présente et comme à Actéon qui vit ce qu’il ne devait pas voir – la déesse nue sans ses voiles  comme ici où « jamais on n’a vu, ce qui s’appelle voir, / tant d’éclairs invisibles (…) » - elle lança son fameux « nunc sit poteris narrare licet ! », vas-y, raconte, si tu le peux, maintenant !

 J’aime à croire que ce défi André Velter dut l’entendre. Le poète savait la chose impossible sinon à se transformer en chroniqueur taurin toujours quelque peu prisonnier dans sa prise de vue de son cadrage et voué aux chiens de la déesse, sinon à la tourner et à tenter de nous donner à entendre la résonance de cet instant furtif, de ce passage de vie : « non pas raconter, écrit André Velter,  mais raviver cette commotion d’être qui prit possession de chacun, et de tous à la fois, pendant les deux heures et demie d’une corrida à nulle autre pareille. » Dans cette mise en écoute il est accompagné d’une part par la langue espagnole grâce à des traductions de Vivian Lofiego et c’est manière de convoquer Lorca et ses cinco de la tarde, Machado et son andar, Bergamin et sa musica callada et d’autre part, par les dessins d’Ernest Pignon-Ernest toujours ajustés à ces moments et aux gestes précis qui leur donnent espace. Mais ce serait trop peu dire, il faut insister sur l’intelligence de la mise en page génératrice de rythme et tout particulièrement  dans le chapitre « Suertes », cet art d’enchaîner les figures.

 Ce que nous donnent à entendre André Velter et Ernest Pignon-Ernest dans cette œuvre croisée dédiée à José Tomas, c’est cette musique de fin silence de son toreo sous les traits d’un art martial que le torero inventa ce jour là.

 Un art qui au « combat se (conjugue) » où l’action est conforme à la nature des choses et des êtres conformément à une définition possible du Tao. A chaque toro son temple, cette qualité dans la manière de toréer qui dit les accordailles avec le toro.

 Un art où le non-agir n’est ni passivité, ni repli, ni indolence mais un agir autre car « il agit, ô combien, sans agir plus que ça / pour détourner la charge / placer le leurre en vérité », qui ouvre sur une présence autre tant José Tomas, « ailleurs déjà, ailleurs encore », était là sur le mode du n’être pas là, « dans cette approche ralentie, menton au creux de l’épaule » afin « à l’heure du rendez-vous » de « régner par l’étrange pouvoir de l’absence, selon les mots de Victor Segalen.

 Un art de l’effacement où le torero se dépouille de lui-même, se débarrasse de tout ce qui pourrait l’encombrer jusqu’au courage pour que ce vide qu’il fait et laisse être soit lieu d’hospitalité pour le toro. Cet art de l’accueil est un art de l’espace tant il s’agit de « décider des formules et du lieu », de tenir le sitio où à l’image de l’essieu, immobile, qui permet à la roue de tourner, « seul à danser avec son ennemi », il occupe le « centre » transformant l’arène en ruedo solaire, où il ne fait jamais nuit quand meurt le toro selon René Char. Un lieu de vérité car « placer le leurre en vérité » comme sut le faire José Tomas en ce jour de feria des vendanges n’est surtout pas leurrer le toro, le tromper, c’est juste le faire passer en exécutant vraiment la passe, la passe torera dont Ernest Pignon-Ernest sut capter l’insaisissable, c’est le « délurer » selon l’expression de José Bergamin. Ce jour-là, il n’y avait qu’une parole dans l’arène, celle de la passe. C’est elle qui parle au toro. Elle qu’il entend et à qui il réplique.

 Et de passe en passe jusqu’à cette magnifique passe de poitrine dont la muleta  aurait pu ne jamais retomber ou seulement longtemps après la disparition dans la nuit du toril du toro Ingrato qui fut grâcié ce jour-là, c’est un art de la composition in situ de mouvements accordés les uns aux autres, un art de l’enchaînement des passes qui me fait penser à cet art d’  « entrebezcar » les mots des troubadours, un art du secret et du silence.

 J’aime voir le livre se terminer sur une leçon pour ce qu’il en est de nous dans un monde qui « roule sa norme et son ennui / avec le rejet par principe de tout ce qui subjugue / de tout ce qui exalte ». Avec ce Tao du Toreo se trouve réhabilité ce qui apparaît, ce qui est dit, cet aplomb qu’il y a à tenir, cette « parole qui engage », comme doit l’être ce qui est écrit « quand les mots ont présence d’os et d’âme », quand c’est le cœur qu’ils visent et atteignent « sous l’emprise de la vraie vie, / parce que la vie c’est pas assez » et que la poésie doit être « un feu de voix » voué à tous les vents du vivant, à ses énergies, ses vertiges, ses surgissements de printemps !

 

 

 

 

 

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