02/03/2011
Lu 61 - Jérôme Bonnetto - Le dégénéré, éditions de l'Amourier
Comment parler du malheur quand le malheur est ce qui comme heurt arrive et jette dans ce quelque chose de brutal, le désespoir ? Comment longer la ligne, la plier et « s’en sortir sans sortir » selon les mots de Ghérasim Luca ?
Le nouveau roman de Jérôme Bonnetto est le compte-rendu d’une tentative de sortie « hors du rang des meurtriers » - les mots cette fois sont de Kafka – le narrateur échouera mais comme nous apprendrons qu’il est aussi l’auteur du texte que nous venons de lire, il parviendra à desserrer l’étau de l’abjection, cet aimant noir d’un état du monde. La littérature ne sauve que d’être cette contre-attaque là !
Quelque chose d’absolument inattendu va arriver au narrateur de Jérôme Bonnetto. Il vivra cette expérience, comme un trait, une flèche qui le transperce provoquant en résonance une secousse de tout l’être : il doit soudain un jour prouver qu’il est français ! Avec l’identité qui vacille, un trou se creuse où souffle le vent terrible du désordre, celui qui va faire tomber le premier domino qui le mènera d’aveu en aveu jusqu’à l’écriture de ce livre que nous lisons qui doit précéder son oralisation à un certain Victor – masque autre ici de la première personne – avant celle devant la police car nous apprendrons qu’il y a eu meurtre d’une jeune femme dans les jardins du conservatoire.
Jamais mieux qu’ici on ne voit aussi clairement que l’écriture, ce remuement de langue, ne traduit pas une expérience préalable mais qu’elle est le lieu même où elle s’élabore.
Tel est le paradoxe : ce qui vous a coupé le souffle, cela vous donne celui nécessaire à l’écriture d’un roman. Jérôme Bonnetto n’en manque pas. C’est ce souffle-architecte qui lui permet de construire ce labyrinthe de « l’abjection niçoise » dans lequel son narrateur sombrera jusqu’à rejoindre le nom que lui avaient donné les enfants de l’école primaire : « le dégénéré ». Ce naufrage se fera selon le scénario suivant : mise en place d’une part, d’un « processus Victor », cet « imbécile parfait », double du narrateur, servira d’ « oie » à gaver de vérités que le narrateur lui déversera jusqu’à devenir, une « vessie parfaitement plate » ; d’autre part, de l’invention du « principe Luna », Luna, une « idée », une « synthèse » de femmes à qui le narrateur va donner corps et qui va apparaître comme une voie possible de sortie hors de ce lieu mental qu’est, dans ce texte, la ville qui a nom Nice. Cette porte finira par se refermer sur le narrateur rejetant au néant son « mouvement de résistance individuelle et égoïste ».
Décidément, non, on ne part pas. L’enfant de Charleville le savait déjà. On reste pris dans la « boite » - « niçoise », ici – dans le monde comme il va, drôle d’usine qui ne recycle pas mais récupère, c’est-à-dire transforme les mensonges en vérités, les vérités en légende. Avec la honte d’être plongé dans ce que la réalité à d’abject et « la mort Luna » commence la dégénérescence. Et avec le mal, l’écriture.
Comment quelque chose qui se termine par « la vérité enfin déballée » - même si on se déchiquette à ses bords déchiquetés – comment la fin d’une mascarade ne serait-elle pas réjouissante ? Comment en passer par la mort n’exalterait-il pas la passion de la vie ?
Désormais quelque chose peut commencer. Un trait vient d’être tiré en bordure de ce qu’est devenu le narrateur. Le passé étant rendu au passé, le jeu étant débloqué, quelque chose comme un commencement est possible. Nice, sa beauté pourra à nouveau étourdir ; sa lumière, faire descendre la paix et l’harmonie, avec les larmes. La vie, à nouveau. Enfin ?
11:07 Publié dans Du côté de mes publications | Lien permanent | Commentaires (0)
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