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28/01/2011

Lu 57 - Capharnaüm / Douze stations avant Judas, L'Amourier, collection Poésie

489 - copie.jpgDécapole nous offrait un trajet, un parcours vers le sens au travers de dix villes et quelques comptoirs, itinéraire qui s’est poursuivi Par les ratures du corps. Nous traversons aujourd’hui Capharnaüm, Nice, lit-on au détour d’une page, la ville/monde aussi bien, ce lieu de tous les excès, de toutes les filouteries, hypocrisies et misères. Un lieu violent. Un certain Judas – personnage de langue qui n’est pas sans rapport avec l’Iscariote – y erre « comme un homme possible (…) le corps balançant entre la ligne des voix et celle des horizons ». Ce dernier affronte moins les visages que prend la mort qui y rôde qu’à travers eux le fond d’où ils proviennent, comme des masques par les trous desquels la vie nous regarderait. Ce fond est une réserve de sens, un espace aux strates plissées : la Bible et ses Evangiles bien sûr – Jésus n’enseigna-t-il pas à Capharnaüm ? – la littérature avec Kerouac, Pavese, Camus… sur lequel se détache le récit d’une expérience, traversée risquée du monde. Si le récit est mené en caractères romains, le monologue intérieur où le « je » trace sa route, rencontre la figure du Christ – ce « il » majuscule de la troisième station de Marie-Magdelaine, de Marie de Béthanie mais aussi celle de la morte à venir dans les yeux de la compagne, l’est en italiques.

Je rangerais volontiers ce dernier livre d’Yves Ughes dans le terrain vague de la littérature – Près des villes où campent les nomades entre deux départs, deux marches, deux errances – où le poème se fait narratif et où la narration prend le tranchant et la tension du vers.

Rien ne nous méduse ici, tout nous questionne. L’écriture d’Yves Ughes est un geste d’intervention de soi, de traversée d’histoires et de territoires, de déplacement des forces. Il ne s’agit de rien d’autre que de « tenir là / dans la carcasse du temps ».

Le « Judas » d’Yves Ughes a ceci de commun avec celui de la tradition qu’il est bien un traître. Mais attention pas celui dont nous avons hérité depuis Saint-Jean Chrysostome qui a ouvert la voie à cette longue histoire de l’antijudaïsme et pour « les fidèles », cet antisémitisme chrétien qui a fait tant de ravages ; pas celui non plus proposé par Kazantzakis dans La dernière tentation du Christ où la trahison n’est que la figure d’une entente entre Jésus et Judas pour que ce dernier accepte de prendre sur lui toute l’ignominie d’un geste nécessaire à l’économie du salut. Le « Judas » d’Yves Ughes a trop souffert d’avoir eu à porter une demande d’amour excédant ses capacités propres d’homme en prise avec le monde comme il va. S’il trahit au terme de onze stations, c’est la scène du théâtre mortifère où l’on passe sa vie à la perdre dans les marécages du malheur. S’il trahit, c’est ce monde de mort. Le « Judas » d’Yves Ughes est un livreur qui en livrant se délivre. C’est sa manière à lui de porter la mort dans la mort. Ainsi, par contre coup, est-il rendu à la vie. Ainsi a-t-il la possibilité de renouer ce lien mortel à la terre qui nous voue à la distance, fondatrice d’humanité.

Comme s’ouvre dans le mur noir de la vie, une fenêtre. Dehors, le jour éclaire un paysage méditerranéen : oui, c’est bien la mer allée avec le soleil qui est retrouvée ! C’est bien l’éternité enfin « amoureuse des ouvrages du temps » selon William Blake qui vient transfigurer celui-ci et les choses visibles avec lui. Alors l’horizon se courbe, « le soleil flambe dans la réconciliation des oliviers ». Là, on peut « (se) refaire sans haine », lavé, nettoyé, dans « le salut du lieu ».

Bonne nouvelle, « Judas » est ressuscité !

 

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