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05/05/2007

Lubin Armen / Arménie année du 16 juillet 2006 au 14 juillet 2007

medium_lubin-armen.jpgmedium_lubin-armen-passager2005.jpgQue cette occasion de découvrir les valeurs du patrimoine culturel arménien et de mieux connaître l’Arménie, sa culture et son histoire, son passé et son présent – on se reportera au site http://www.armenie-mon-amie.com/ - on ajoute celle de découvrir le poète Armen Lubin. De son vrai nom Chahnour Kerestedjian, il naquit à Istanbul en 1903. Sa vie d’exilé – Il fuira les persécutions de Mustapha Kemal en 1915 à Paris – fut vouée aux souffrances d’une tuberculose osseuse qui le conduira d’hôpital en hôpital jusqu’à sa mort  à Saint-Raphaël en 1974. L’essentiel de son œuvre poétique a été repris dans un volume de la collection Poésie/Gallimard préfacé par Jacques Reda : Le passager clandestin, Sainte patience, Les hautes terrasses et autres poèmes en 2005.Seul, démuni, il va devoir s’adosser à notre langue et la faire bouger,la maltraiter comme seuls savent le faire les venus d’ailleurs, les bienvenus :« N’ayant plus de logisPlus de chambre où se mettre,Je me suis fabriqué une fenêtre
sans rien autour »
A s’y pencher, on voit passer le monde. Et ses décombres. Ses gravats. Ils blessent le cadre de la chanson. Assombrissent sa lumière. Mais elle persiste pourtant. Et passe. Blanche. Comme un oiseau. Sa flèche. Son chant.
Lubin Armen, encore un de ces poètes plus reconnu que connu !


Voici un poème extrait de Les hautes terrasses publié en 1957 chez Gallimard. poème que d’aucun dirait de circonstances. En est-il d’autres ?

MONSIEUR ARNAUD, BACHELIER
À Arpik Missakian.

Les sans-patrie ont toujours tort
Puisqu'ils transportent du bois mort
Et campent dans de sombres garnis,
Chaque mur y a ses petites hernies.
Car c'est un hôtel moisi et croulant,
Sur une corde se balancent des piments.
Hôtel borgne dont l'œil valide s'infecte,
Hôtel où les réfugiés et leurs dialectes
Se glissent par une vieille porte noircie,
La police reconnaît en elle l'objet de ses soucis.
Elle la vise, se ravise, et ainsi de suite.


Toute la bâtisse sent l'aubergine cuite.
Elle le sent violemment vers le soir
Quand les gosses jouent sous le porche à demi noir
Et que le seul Ascho mendie sur le palier.
Ascho est petit. La tête entre deux barres,
II nous tend sa main à notre passage,
De fenêtre à fenêtre vont des cordages.

II

Monta d'abord le colonel Kanzadian
Qui est tourneur chez Citroën en attendant
Le grand jour où il pourra occire les Turcs.
Il ne s'arrêtera que pour cracher très loin,
Et la mosquée cédera devant la Sainte-Trinité,
La mosquée aura des faïences et trois cyprès.
Monta ensuite la femme qui lit l'avenir
Dans le marc du café toujours amer:
« Au-delà des monts, au-delà des mers,
« Un colloque entre deux hommes de loi,
«À la suite de quoi... » Le chat noir monta.
Et montèrent, bien sûr, des malades blêmes,
Suivis par le professeur de math-élème,
Qui, devenu par faveur cireur de parquets,
Caressa le mendiant en ces termes :
«O petit! j'aime l'archevêque qui t'a béni.»
Mais le dernier  arrivant fit comme ça,
Laissa tomber son obole comme ça,
II la doubla, la tripla, fit tralala.

III

Il avait le sourire comme on a le cœur gros.
Il mendiait le soir nos tickets de métro.
Il étalait ces choses périmées sur le lit
En vue d'un voyage secret, et puis :
«À son âge! disait la mère, à son âge!
Mieux que moi, femme d'expérience,
«II descend et change aux correspondances ! »
Quel rêve l'emportait-il si loin de l'Europe,
L'aïeul à demi sourd, le vénérable pope,
Dont la lèvre pendante remuait sans mot dire

 Cependant que le père se mettait à bouillir :
«Voyez! voyez! disait le père, l'innocence
«Entretient de mystérieuses correspondances,
«Ce qui fait que nos enfants s'assimilent vite,
«Par des passages souterrains ils nous quittent
«Pour devenir relaps et ministre de France,
«Ah! c'est bien dans le vide que nos piments se
balancent»

IV

 Ici je m'arrête puisqu'il n'y a plus d'Ascho.
Depuis longtemps il s'appelle Monsieur Arnaud.
Car dans sa prime jeunesse, plus d'une fois,
Les poulbots armés de sabres de bois,
Le poursuivirent en criant: «Ascho! t'as chaud?»
Il en pleura. Ensuite, il fit son bachot.

(extrait de Les hautes terrasses, Gallimard, 1957)

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