Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

16/10/2006

Michel Balat - Le myosotis et puis la rose…

( Texte d'une intervention de Michel Balat à un Colloque sur la sexualité en 1996 )

J’avais prévu de parler de cette belle chanson, « Comme un p’tit coquelicot », qui date de 1951 ; Mouloudji l’a immortalisée, mais bon nombre de chanteurs l’avaient, dès cette époque, reprise. Les paroles en sont de Raymond Asso. C’était un des amours d’Edith Piaf ; il est, je crois, mort assassiné. L’histoire contée dans la chanson se termine d’ailleurs assez mal, le p’tit coquelicot, à la fin, est un « trou rouge au côté droit » :
Y’avait trois goutt’s de sang
Qui faisaient comm’un’fleur
Comm’un p’tit coqu’licot, Mon âme !
Un tout p’tit coqu’licot.
C’est une façon d’introduire un petit peu mon… laïus ! J’imagine que c’est un jeu de mots ? L’AIHUS, Laïus : le père de celui qui l’a tué… bon ! Vous savez peut-être d’où vient l’expression : faire un laïus ? Je crois avoir su qu’elle datait du premier examen de Polytechnique, lors de la création de l’école. Les examinateurs ayant remarqué que Laïus, étant donné sa position dans les tragédies d’Oedipe n’avait guère la possibilité de faire valoir son point de vue, ont posé comme question aux étudiants : « Laïus parle, rapportez son discours ». Se non è vero… N’en sommes-nous pas toujours là, puisque, parlant, nous inventons la parole — pas le langage ! —, nous émergeons d’un vieux silence, comme le ferait Laïus. C’est le présent : Jacques Lacan ne faisait-il pas remarquer que « le présent, c’est quand je parle ».
Le myosotis et puis la rose,
ce sont des fleurs qui dis’nt quéqu’ chose !
Mais pour aimer les coqu’licots
et n’aimer qu’ça… faut être idiot !
Mais pourquoi cette chanson a-t-elle eu ce rayonnement ? Elle doit dire quelque chose de très important, comme tous ces poèmes, toutes ces chansons qui restent dans la conscience universelle.


Elle parle de la sexualité : sexualité et vie, sexualité et amour, sexualité et mort, et elle parle aussi, comme l’indique l’exergue de la chanson : C’est est un qui discute avec son âme. Elle lui pose des questions d’âme, ce qui est très logique ! Et lui, il répond des réponses de chair, ce qui est très humain !, sexualité et discours, ou encore, comme nous le verrons plus loin, soma et psyché.
Cette chanson fait sans doute référence à ce qui est une expérience extrêmement commune, à savoir qu’à un certain niveau d’écoute des discours, nous pouvons toujours entendre métaphoriquement parler du sexe :
— Je vais vous faire un laïus !
— Qu’est-ce que c’est que cette cochonnerie ?
Après tout, pourquoi pas ? Ce sont des choses que nous pouvons très bien comprendre, qui sont sans doute au fondement même de la comédie, de telle façon que reste ceci, peut-être, — et la question est posée par cette chanson —, pourquoi tout discours peut-il être entendu comme un discours qui parle du sexe ? au sens où le myosotis parle du coquelicot à la rose : « ce sont des fleurs qui dis’nt quéqu’ chose ». C’est un petit peu de ça que je voudrais essayer de parler, je ne vais pas parler du plaisir, je ne vais pas parler de la souffrance, je vais vous parler de ça. Ça va être un petit peu compliqué, parce qu’il va falloir introduire dans mon propre discours des éléments qui ne sont guère plaisants, et qui, en tout état de cause, ne sont guère susceptible de faire une chanson.
Pour commencer, une première remarque. Lorsque, après Freud, nous lisons Mélanie Klein, Françoise Dolto voire Geneviève Haag, — toutes ces sorcières, extraordinaires —, nous sommes frappés par le fait qu’en somme elles ont « inventé » le bébé, elles ont même inventé le foetus. Et si nous notons ce que racontent ces femmes, nous nous rendons compte qu’elles disent toutes que le bébé, — peut-être même le foetus, elles ne font pas toujours attention à ça, ce n’est pas très important —, a déjà présent en lui à peu près tous les objets fondamentaux, les mêmes objets que les nôtres. Si nous sommes lacanoïdes il y a les objets « a », le sein, la merde, la voix, enfin tout ce que vous voulez, et il y a même le phallus. Même le foetus est un petit Oedipe, si nous suivons Mélanie Klein. Tout est prêt, tout est là, ce qui est quand même au moins mystérieux. Alors ou bien nous disons, comme je viens de le faire, ce sont des sorcières et puis bon, elles élaborent…, ou bien, de façon propre à chacune, elles refont inlassablement la démonstration, faite par Freud il y a bien longtemps, que les enfants, — et il n’y a pas de raison pour cela de commencer au moment de la naissance, — les enfants sont déjà totalement plongés dans la sexualité.
Alors, la sexualité, nous la trouvons aussi bien du côté des enfants qui ne parlent pas, nous la trouvons aussi bien dans toute parole prononcée, mais, cette sexualité, nous pourrions-nous lui trouver une certaine place logique. C’est pour ça que cela va être un petit peu difficile parce que c’est presque de la logique que nous allons faire maintenant. Car d’ores et déjà, le fait que tout discours y renvoie place le sexe dans la position d’objet constant de ce que les logiciens appellent « l’Univers du Discours », c’est-à-dire ce dont il est question quand on parle.
Comme on vous l’a dit, je suis sémioticien et en fait cet intérêt pour la sémiotique m’est venu du sentiment que pour la première fois j’avais l’impression de trouver une manière d’aborder les choses qui nous évite la question du « trait d’union », ce trait d’union problématique évoqué dans ces articles entre psycho et soma. On pourrait même se passer de psycho, de soma, ce n’est pas la peine. Ce n’est pas la peine parce que dès que vous dites psycho(-)soma, c’est déjà fichu, avant même d’avoir commencé, que vous mettiez un trait d’union ou pas, et c’est fichu parce que vous distinguez deux entités que vous essayez ensuite de rassembler : vous avez séparé, c’est trop tard. Or la sémiotique présente un gros avantage, c’est qu’elle permet précisément de ne pas séparer. Me permettez-vous de vous donner l’essentiel de la chose pour mon discours ? Comme il faut prendre les exemples les plus simples possibles, ce sera à partir du texte de cette chanson. Bon, vous ne l’avez pas sous les yeux, mais comme vous la connaissez, ça ira.
Puis-je vous poser deux questions distinctes concernant les coquelicots ? Première question : combien il y a-t-il de mots « coquelicot » dans la langue française ? Vous allez, vous devez me répondre, il n’y en a qu’un. Enfin, j’espère. Si alors je vous demande, deuxième question : « combien y a-t-il de mots « coquelicot » dans cette chanson ? », vous me direz qu’il y en a plusieurs, 9 si je ne me trompe. Nous avons donc employé, et vous avez entendu, le terme « mot » de deux façons totalement différentes, puisque dans un cas il y en a qu’un, dans l’autre il y en a plusieurs. Voilà une première distinction tout à fait essentielle de la sémiotique à laquelle je fais référence, qui est la sémiotique, pour ceux qui connaissent peut-être, d’un dénommé Charles Sanders Peirce, un philosophe américain de la fin du siècle dernier et du début de ce siècle, qui distinguait très soigneusement ce qu’il appelait les « types » et les « tessères » (type et token respectivement chez Peirce). Le type, c’est le « mot » au sens où il n’y en a qu’un, la tessère c’est le « mot » au sens où il y en a plusieurs sur la partition.
Que sont alors les tessères ? nous le voyons bien, la tessère est en quelque sorte le corps du mot, c’est-à-dire ce qui fait que si je veux pouvoir dire un mot, encore faut-il que je le prononce, encore faut-il que je l’écrive. Et si je l’écris sur une feuille, il est évident qu’à un moment donné celle-ci se noircira, pour que des idées puissent être transmises d’une quelconque façon, sans doute même pour savoir qu’on est en train de penser. Parce que nous parlons de la pensée comme si c’était quelque chose qui était évident de soi. Or cela n’a rien d’évident, on ne sait qu’on pense qu’à partir du moment où l’on a noté qu’on pensait. Référons-nous à la phrase de cette dame, — phrase recueillie dans un livre de E. M. Forster par Gerald M. Edelman dans sa Biologie de la conscience —, « Comment pourrais-je savoir ce que je pense avant d’avoir vu ce que je dis ? ». De telle façon qu’il faut bien avoir quelques tessères, — si vous pouvez retenir le mot ! —, pour pouvoir exprimer les types, les types qui sont les « mots » au sens le plus habituel du terme, au sens des « mots » du dictionnaire. Le terme de tessère, qui est un mot de la langue française, désigne une petite tablette ou un jeton. Mais enfin ce n’est pas le tesson, même s’il assone avec lui, c’est la tessère, ne commençons pas à changer le mot. Les latins disposaient de ça, par exemple, lorsqu’ils voulaient rentrer dans les jeux de cirque après qu’ils avaient payé : une sorte de signe de reconnaissance. C’est ce qui, quand j’étais jeune, était appelé une contremarque, fonction remplie actuellement par le tatouage effectué dans les boîtes de nuits. C’est un mot français de racine latine, sans doute d’origine grecque. Je vous demande de m’excuser de cet exposé un peu didactique, mais qui est important pour la suite.
Ce même Peirce fait remarquer qu’en somme on ne peut pas s’arrêter là, nous ne pouvons pas considérer uniquement les mots sous ce double angle, il y a encore un troisième élément tout à fait essentiel qu’il appelle le « ton » (tone en anglais), à savoir ce qui fait que, lorsque j’ai une certaine tessère d’un mot, — à savoir, je suis en train de vous parler, je module ma voix, je mets ce mot dans des contextes associatifs différents —, cette tessère a un certain ton, le ton étant donc du registre de la prosodie, de la présence à l’autre aussi bien que des connotations associatives auxquelles il est lié. Ainsi la connotation a une place du côté du ton, parce que la connotation, en somme, est quelque chose qui est tout un travail d’atmosphère, d’ambiance. Au bout du compte, le poète est celui qui est sensible à la connotation, c’est-à-dire qui écrit des types « tonalement ». Par exemple, là, le mot « coquelicot » est peut-être présent 9 fois, mais, à chaque occurrence, chaque tessère a sa singularité : elle est d’abord à sa place sur la feuille, mais elle est aussi liée associativement aux autres mots de manière chaque fois différente, c’est ce qui fait le charme de la poésie. En résumé, si vous vouliez, je vous le demande, rajouter les tons aux types et aux tessères, vous auriez de la langue, de la parole et du langage une conception triadique, nouant les trois niveaux de la possibilité qualitative (le ton), de l’actualité (la tessère) et de la loi (le type). Voilà, fin de l’exposé sémiotique.
Si nous voulions rattacher cela au débat sur « psycho » et « soma », nous pourrions dire que, s’il y avait du « soma » ce serait du côté de la tessère, — le corps, mais d’ailleurs le corps comme on parle du corps de la lettre en typographie —, s’il y avait du « psycho », alors le psycho se diviserait, là, il se diviserait en quelque chose du côté du ton, c’est-à-dire ce processus associatif fondamental, que du côté du type, qui est le niveau du mot du dictionnaire, finalement, le niveau du langage comme loi. Vous pouvez pressentir l’intérêt de cette conception sémiotique, qui est de nous mettre continuellement devant ceci, à savoir, que dès que je parle je suis bien obligé d’émettre des sons, ou bien d’écrire quelque chose, ou bien de signifier matériellement une chose, et que, deuxièmement, il faut qu’en même temps, j’incruste, j’incorpore dans mes paroles quelque chose qui est du registre de ce que nous appellerons maintenant le tonal. De telle manière qu’en somme dans toute parole nous avons aussi bien un registre du « typal », qu’un registre du « tonal », mais qu’en même temps tout cela s’organise, se joue autour des tessères.
C’est qu’en distinguant ces trois catégories, d’une certaine façon on rend pensable la chose suivante, qui est un petit exemple. Je travaille avec un groupe de médecin, depuis des années, et nous nous voyons tous les quinze jours, régulièrement, — c’est un groupe de copains, c’est sympathique. La première année où nous nous réunissions, l’un d’entre eux dit un jour, voilà, une dame qui vient me voir a ce problème : elle a mal au ventre. Elle a 65 ans, ça va pas, etc. On en parle, et nous lui demandons s’il n’a pas eu des idées bizarre dans la tête en l’écoutant. (Quant on évoque un cas, dans ce genre de travail, c’est que le transfert rôde…) Il dit qu’effectivement il lui était venu à l’idée que cette dame était enceinte, idée vite écartée. Nous concluons cette soirée en lui disant qu’au fond ça n’enlèverait rien à son travail s’il gardait ce « elle est enceinte » à l’esprit. Bon. Neuf mois après les premières douleurs de la dame, la crise a cessé, sans que l’intervention compétente et médicamenteuse de notre ami y ait été clairement pour quelque chose. Quand il nous a rapporté ça, tout le monde était un peu éberlué, « mais alors ça marche ces histoires ! » Non seulement ça marche, mais ça chemine. Quelques années après, elle a commencé à développer un cancer, à évolution lente, qui la fatigue sérieusement. Cette femme vient régulièrement voir ce médecin, et lui apporte le témoignage constant qu’elle arrive à vivre tout ça à peu près bien. Nous nous sommes persuadés, — est-ce que c’est vrai ? — que c’est parce qu’il l’avait bien écoutée, parce qu’il avait accepté d’accueillir en lui ce « elle est enceinte » malgré son caractère d’absurdité, comme une sorte d’« incursion tonale ».
Qu’est-ce que ça nous indique, direz-vous ? Rien, sinon que notre tragédie, — mais alors vraiment c’est une tragédie, celle de tous ceux qui sommes là dans cette salle —, est que nous avons toujours tendance à nous focaliser sur les types, — terme entendu au sens défini il y a peu, — et que, par contre, nous avons une tendance à l’inattention des tons. La question est donc la suivante : comment pouvoir parler, c’est-à-dire, produire des types par l’intermédiaire des tessères, en respectant et en travaillant le système tonal, qui est celui de la présence. Il me semble que c’est ça notre travail, dans l’éveil de coma ou ailleurs. Sans cela, on ne peut pas s’orienter. Par contre si nous restons attentifs au niveau tonal de la production des types, alors nous pouvons faire que la relation à l’autre soit présentée par toute une variété de connexions, d’un registre qualitatif ou existentiel aussi bien que du registre de la norme, du code et de la loi. Le champ tonal est quelque chose qui se travaille, mais qui se travaille avec les types, avec le discours, comme le fait une charrue, mais cela nécessite qu’on ne se laisse pas obnubiler par eux. Surtout dans ce grand amphi de la Sorbonne : c’est tragique. Heureusement Descartes fait la gueule, heureusement, ça nous permet de pouvoir dire ça, car si jamais il s’était réjoui… !
Institutionnellement on voit bien, à travers ce que la psychothérapie institutionnelle appelle l’atmosphère, l’ambiance, l’importance du tonal. Une ambiance se travaille, ce n’est pas un donné, il faut du temps. Par exemple ici nous avons chacun quarante minutes pour aider à forger une ambiance propre à la culture des idées, c’est du boulot ! Mais le temps compté n’est pas l’essentiel de la chose. Certes, il faut prendre du temps, mais parfois, prendre du temps, c’est savoir ne rester qu’un instant avec une personne, car il ne s’agit pas d’un temps chronométrique, mais d’un temps de présence. Au lieu de temps nous pourrions parler plutôt de rythme, prendre le rythme, c’est-à-dire, se laisser rythmer par le rythme de l’autre : c’est ça le tissu tonal, si vous voulez, ou la connotation, c’est notre travail, c’est le seul qui soit digne d’intérêt.
Bien entendu certains pourraient ici traduire ce que j’entends par « tonal » dans des termes comme « l’empathie ». Mais, à tout prendre, et s’il fallait utiliser un autre terme, ce serait plutôt un terme tel que la « diapathie ». Si l’empathie est une sorte de rapport immédiat à l’autre, et si dans la sympathie, où l’on est deux, se joue un certain détachement de l’un à l’autre, quoique toujours dans le registre du lien, il y aurait alors la diapathie comme phénomène fréquent dans les groupes. Vous êtes à table avec des amis, vous discutez, vous vous oubliez, mais vous ne vous oubliez pas au profit de l’autre, vous vous oubliez au profit de « entre les autres ». La diapathie pourrait être cette chose-là, qui est très présente dans la clinique. Je crois savoir que Françoise Dolto disait la chose suivante : j’ai su que j’étais devenue psychanalyste le jour où en séance j’ai cessé de penser à moi. Je trouve ça très bien, parce que, comme elle était psychanalyste ce n’est pas à l’autre qu’elle pensait, n’est-ce pas ? Donc, elle était entre. Je trouve que cette position diapathique pourrait très bien définir le travail du médecin, du psychanalyste, de tout un tas de gens : être « entre », ne pas être collé à l’autre, parce que sinon on l’étouffe, ne pas en être détaché, sinon on l’enferme, mais être entre, juste entre les deux, avec lui dans le monde tonal, précisément.
Je voudrais maintenant vous présenter une idée qui, évidemment, nécessiterait beaucoup de temps pour être exposée dans tous ses détails, à savoir celle selon laquelle le foetus est déjà porteur de tessères. Tessères qu’à l’évidence il ne peut considérer comme types, parce qu’un foetus, un nouveau-né ne parle pas, quoiqu’il soit sous la dominance de ses tessères, c’est-à-dire que son corps, d’une certaine façon, est un corps de tessères.
Je travaille avec des personnes dans le coma, enfin, en éveil de coma, et nous avons parfois l’occasion de constater cette chose-là, à savoir que, lorsque quelqu’un est dans la phase végétative de l’éveil, il fait de temps en temps des signes, comme, par exemple, une paupière qui bat. Cette paupière-là on ne sait pas au fond pourquoi elle bat. Peut-être chasse-t-elle une mouche, peut-être a-t-elle un petit problème tonique. Toutefois l’équipe est amenée petit à petit à dire : « quand il bat de la paupière il dit oui », quand bien même le blessé ne saurait pas encore qu’il dit oui. Voyez la tessère : il bat de la paupière, voyez le type : il dit oui. Il « dit » oui, en somme on n’en sait rien encore, mais dès qu’on a décidé qu’il disait oui avec la paupière, à partir de ce moment-là, tout ce que nous faisons autour de lui est, d’une certaine façon, organisé autour du fait qu’il « a dit » oui. Par exemple : est-ce que tu veux boire ? S’il bat de la paupière, on le fait boire, s’il n’a pas soif, c’est son affaire ! Il n’avait pas à battre de la paupière ! Est-ce que nous ne reconnaissons pas là, quand même, quelque chose qui est très proche de ce qui se passe avec les enfants ? Car finalement avec les enfants c’est ce que fait la mère, ou la personne en position maternelle. On voit que pour arriver à ce « il dit oui avec la paupière », il faut une attention d’une qualité toute particulière de l’équipe, un tissu tonal bien assuré. Nous décryptons les tessères pour en faire des types, et de la même façon que chez le bébé, ce décryptage est imposé, semble-t-il, de l’extérieur, quoique cet extérieur soit de l’ordre d’un voisinage. Mais y a-t-il quelque raison plus essentielle qui fait que ce sont ces tessères-là que nous allons choisir ? Répondre à cette question ouvrirait à d’autres problèmes que je ne puis ici vous présenter.
A travers cette idée de tessère, nous pressentons que, finalement, il n’y a pas de « corps pur » : rien n’est corps pur, parce que toute partie du corps est susceptible de porter des types. Cela ne veut pas dire qu’elle le fait effectivement. Mais cela pose logiquement une question : est-ce qu’en somme il n’y aurait pas une sorte de tessère primordiale, chez le bébé, chez le foetus, qui serait cette tessère grâce à laquelle toutes les autres pourraient devenir éventuellement plus tard des types ? Une sorte de point d’ancrage, de point fixe nécessaire pour arrimer la signification des types .
Si nous essayons de réfléchir logiquement à ce que doit être cette tessère, elle doit avoir sans doute quelque chose en elle-même, premièrement, de dyadique, car il faut qu’il y ait deux choses, collées et séparées en même temps, la tessère ayant une dimension existentielle, d’opposition, d’altérité. Deuxièmement, il faut que cette dyade soit ordonnée, c’est-à-dire qu’il y ait un premier et un second, à savoir les prémices d’un ordre qui prépare un autre genre d’altérité . Partant de l’hypothèse de cette dyade primordiale, on ne peut pas savoir a priori quelle est la partie du corps qui serait éventuellement cette dyade primordiale, si cela a un sens. Pourtant si nous suivons les élaborations de Freud, nous avons peut-être une hypothèse qui se présente à nous.
Vous savez que Freud distinguait dans les phases d’évolution de l’enfant une première plage de développement qui culminait à ce qu’il appelait la phase phallique, — la phase phallique c’est la phase du « en avoir ou pas », finalement. Pour vous donner un petit exemple, une dame qui vient me voir de temps en temps avait un problème avec sa fille de quatre ans qui se plaignait un jour de ne pas être un garçon. Elle lui dit alors : « mais tu sais, personne ne t’a coupé le zizi, tu es née comme ça », — « c’est pas vrai » lui répond-elle. La petite part en courant dans sa chambre, revient avec un crayon qu’elle tend face à sa mère en disant : « et ça, alors ? ». Vous voyez que cette gamine savait très bien ce qu’était une tessère, elle savait de quoi était porteur le crayon, à savoir d’un type, le type « phallus ». Si nous revenons à notre question de base, sans doute pouvons-nous dire qu’au point de départ, grâce à cette construction de Freud, qui est une construction décisive, puisqu’évidemment c’est la phase préparatoire à la phase génitale — qui arrive après la phase de latence —, dans cette phase-là nous avons peut-être la première représentation de cette dyade fondamentale sous le fait d’en avoir ou pas. Alors ne pouvons-nous considérer — et là, si vous le permettez, c’est l’hypothèse de base que je vous présente —, que la tessère fondamentale c’est le sexe ? Et je dis bien le sexe, que ce soit pour un garçon ou que ce soit pour une fille. Dans les deux cas, cette tessère fondamentale, cette dyade primordiale, c’est le sexe, le lieu du sexe au sens du « en avoir ou pas », de telle façon que nous pouvons sans doute considérer qu’à la lumière de cette hypothèse, s’il y a quelque chose comme du soma, c’est autour du sexe que le soma s’organise. Et revenant à ce que je vous disais tout à fait au début, sur « le myosotis et puis la rose », on peut comprendre dès lors, que tous les types ayant à emprunter leur matière fondamentale à cette comparaison, toujours essentielle, avec la dyade fondamentale que présente le sexe, il n’est pas étonnant que, finalement, on ne parle que de ça, du coqu’licot. Je vous remercie.

Les commentaires sont fermés.